Dans les jours qui avaient précédé, les élèves de l'écurie Dionysos n'avaient pas, en cachette, fait passer de petites enveloppes contenant le lieu des réjouissances. Aucun mot ne s'était échangé à l'oreille des uns et des autres et personne n'avait eu à acheter un bon stock d'alcool pour toute la bande. On s'était contenté de suivre les règles. Le Secrétariat des jeux et divertissements -dont était membre Adnae-, avait monté de toutes pièces le projet de cette fête organisée à La Vigne. Rien de bien prétentieux, comme ils disaient, mais juste l'affaire de passer une bonne soirée. Afin de montrer sa bonne volonté, et sous l'impulsion de certains membres, l'ensemble des élèves de l'académie avait été convié. Cependant, la direction et d'autres élèves pointilleux s'était hâtés de mettre le doigt sur de nombreux petits "détails", qui étaient rapidement venu chambouler certains plans. Ainsi, l'alcool avait évidemment été interdit, et on avait prévu un couvre-feu à minuit et une heure, respectivement pour les élèves des tours de Nacre et d'Ivoire. De quoi rendre l'atmosphère bien plus pesante que d'ordinaire lors de la soirée. Pourtant, Adnae s'efforçait de demeurer confiant vis-à-vis de la fête qui s'annonçait. L'alcool et l'ivresse des nuits passées à déroger aux règles n'étaient pas tout. Il pouvait, il devait, comme les autres, s'amuser autrement. Le comité l'avait voulu ainsi, et il était une part de celui-ci. Enfin, il ne pouvait s'empêcher de remarquer dans quelles contradictions il était prit.

Le soleil, dehors, avait déjà disparu, comme le voulaient les premières nuits de printemps françaises. Il devait un peu pleuvoir, car un petit bruit de clapotement se faisait par instants entendre. Adnae écoutait cela, alors qu'il sentait son cœur battre à tout rompre au creux de son être. Il avait chaud. Il regarder tous ces élèves arriver, petit à petit, et il espérait. Il espérait que le travail que lui et les autres membres du comité avaient effectué ne saurait déplaire. C'était loin d'être la première fois qu'il fourrait son nez dans l'organisation d'une soirée, mais cette fois, il y voyait une véritable importance. Il avait hâte, et craignait à la fois que tout se lance.

Et sans qu'il ne s'en rende véritablement compte, la soirée débuta.

Une invitation en bonne et due forme, quelque chose d'officiel, , d'approuvé par le Comité, par la direction. Quelque chose de froid, d'impersonnel. Où sont passés les mots qu'on se chuchote au fond de la cour ? Où sont les cartons artisanaux, festifs, explosifs ? Où sont les sourires satisfaits, impatients et malins qui s'échangeaient en douce entre ceux qui savent et qui se sentent fébriles, vivants à défier ainsi l'autorité rêche et sérieuse ? C'était sans doute immature, mais si jouissif. On arrivait en vêtements civils, sans prise de tête, avec des bouteilles et de la musique plein la tête. Là, avec le beau carton dont un sort fait bouger les lettres de manière cérémonieuse, je me demande sérieusement s'il faut sortir les robes de soirée, le tout avec une ambiance bien plus cul-princé que la fougue adolescente habituelle. Pas que je n'aime pas les diners d’apparats, bien que peu connaisseuse, -d'ailleurs cela semble ressembler aux manières distinguées de l'Académie- mais j'aurais préféré du challenge, pour ne plus avoir l'impression d'être à l'étroit dans les couloirs et dans les uniformes sombres.
Mais le carton lui-même disait qu'aucune prétention n'était recherchée, bien que soulignée par le sceau républicain. Toute la logique de la situation.
M'enfin, même si le charme de la folie et l'excitation des interdits n'est pas là, on ne crachera pas sur une fête, un moment de détente dans cette atmosphère tendue qui règne en maître sur la ville. Donc me voilà, j'arrive dans les premiers, préférant voir l'ambiance monter en me trouvant au centre plutôt que de débarquer quand la fête bat son plein et me sentir rejetée. Je salue Adnae de loin puis m'approche. Il a l'air nerveux, je souris et me moque gentiment :

- Au pire, y'a tout qu'explose et on part en guerre.

Je vais me servir un verre tout en soupirant devant les boissons proposées. Mais j'ai décidé de passer une bonne soirée, de rire beaucoup et me vider la tête, alors ne partons pas défaitiste. Je me sers donc en limonade et lève mon verre bien haut.

- Bonne soirééééééééééée !