« En plus de choisir une salle de cours,t'as choisir l'arithmancie ... nan mais tu vois tous ces chiffres Nath' ? C'est pas possible ! Tu veux me tuer avoue-le ! »

À peine venait-elle de parcourir le long couloir parsemé de portes menant aux salles de cours qu'Amelia se sentit défaillir à l'instant même où elle sentit la présence de son ami en la salle en laquelle elle passait le moins de temps. Elle disait que si elle fuyait cette salle bien plus qu'une autre, c'était avant tout pour préserver sa santé mentale, les chiffres n'ayant jamais eu une bonne influence sur elle. Pour enfoncer le clou, elle disait même qu'ils lui donnaient de l'urticaire. Nathaniel, quant à lui, semblait plutôt amusé par la tête que tirait Amelia qui lui jeta un regard noir en échange. Des dizaines de calculs s'étendaient de droite à gauche attirant immédiatement le regard puisque le tableau noir sur lequel ils étaient inscrits ne pouvait que mettre l'accent sur la fine écriture penchée d'un blanc pétant s'y étalant. Son regard dépité se déporta ensuite vers le centre de la pièce où semblait s'agiter quelque chose en un grondement sourd ... Lentement, comme au ralenti, sa tête et tout son corps se tourna encore un peu plus à droite de sorte à ce que son regard se fige sur l'armoire. Mais ce meuble n'était pas n'importe quelle armoire ... à son plus grand désespoir. Si elle ne se trompait pas, il s'agissait d'une de celles renfermant les peurs de tous les élèves de l'école. Tout un chacun redoutait de se retrouver face à ce genre de choses mais tous devaient y faire face. Amelia avait échoué à l'époque où on lui avait présenté cette nouveauté et n'avait jamais voulu retenter l'expérience ... De toutes les choses qu'elle redoutait le plus, le feu était un réel problème et l'épouvantard par la même occasion.

« C'était ... ça que tu voulais me montrer ? Une armoire branlante animée magiquement ? »

Faisant mine de ne pas comprendre le but de leur rendez-vous, elle s'assit à une table sur laquelle elle posa sa baguette en tournant le dos au sujet d'étude du jour. Levant les yeux au ciel, elle attendit qu'il se manifeste enfin et daigne lui révéler la véritable raison de sa convocation en ces lieux de perdition. « Je te serai gré de dissiper ce suspens insoutenable, les armoires m'ont toujours fait un peu peur, surtout lorsqu'elles bougeaient ... si tu vois ce que je veux dire. » Étant tous les deux en dernière année, ils avaient partagé la majorité de leurs cours et avaient toujours suivi le parcours de l'autre d'un œil discret et désintéressé et ce jusqu'à apprendre à se connaître un peu plus au sein de l'organisation vulnera samento. Ils avaient de nouveaux objectifs en commun et apprenaient à se servir de leurs peurs pour progresser ... peut-être là était la raison de leur entrevue ? Qui sait, peut-être voulait-il lui parler des récents évènements et de son implication dans cette organisation qui avait bien voulu d'eux ? Après l'avoir vu démoralisé et déprimé, elle se réjouissait de le voir plus vivant que jamais et ce sans bouteille d'alcool à la main ... Elle aimait boire mais n'aimait pas le voir boire, lui, surtout depuis leur incartade de l'été dernier au cœur du grenier. Son côté sombre avait ressurgit, une face de sa personnalité à laquelle elle n'aimait pas vraiment faire face mais elle était parvenu à le faire revenir à la raison peu à peu, encaissant les mots durs qu'il avait eu à son attention sans en tenir rigueur puisqu'elle savait que leur amitié était peut-être naissante mais forte. La preuve, il l'avait soutenue lorsqu'elle avait senti que Justin s'éloignait de plus en plus ... Un brave type ce Nath !

« Si je veux te tuer? Tu me diras ça lorsque tu sauras pourquoi tu es là. »

Elle n’avait aucune idée du pourquoi elle était là, et tu le voyais bien. Tu n’avais pas osé lui dire, te disant que si tu ouvrais la bouche sur la question, elle ne se pointerait jamais et te fuirait. Alors tu lui avais souris, amusé, sachant néanmoins qu’elle te détesterait lorsqu’elle saurait. Il fallait bien qu’un de vous deux ait un certain plaisir là-dedans. Cette soirée ne serait pas facile pour elle et tu le savais, c’est pourquoi tu voulais être là pour l’aider, et rire un peu. Juste un peu, tu ne voulais la pas vexer. Tu t’étais même promis de bien te comporter, pour une fois. Peut-être parce que tu ne serais pas là en un morceau si ce n’avait été de son aide.. Peut-être parce que tu savais qu’elle te remercierait lorsque ce serait passé, lorsqu’elle pourrait affronter cette peur. Parce que tu savais que ça l’handicapait, d’une façon ou d’une autre. Alors, tu t’étais arrangé pour obtenir un épouvantard (ça sert à ça, d’être un excellent élève) et tu avais réussi à attirer Amelia dans la salle d’arithmancie. Et non, tu n’avais rien trouvé de mieux. C’était un local, point barre. De toute façon, lorsqu’elle comprendrait ce que tu attendais d’elle ici, le local serait le dernier de ses soucis. Ou peut-être continuerait-elle à en parler activement, pour masquer sa nervosité? Les gens faisaient souvent ça. Ça t’arrivait parfois, de raconter toutes les conneries possibles et inimaginables pour ne pas avoir à faire face à quelque chose qui te déplaisait. Même si tu préférais de loin les remarques sarcastiques et condescendantes.

« C’était ça que tu voulais me montrer ? Une armoire branlante animée magiquement ? »
« Amelia, c’est pas drôle. »

Tu avais retrouvé ton sérieux. Tu aurais bien voulu utiliser ton meilleur mécanisme de défense, l’humour louche, mais tu savais que ce n’était pas le moment. Tu allais enfermer une excellente amie dans un local avec dedans sa plus grande peur. Non, ce n’était pas drôle du tout, et tu étais sûre qu’elle le savait pertinemment bien. Elle s’était même assise à une table, dos à l’armoire qui bougeait, comme elle le disait si bien. Tu attrapes une chaise pour t’asseoir en face d’elle et tu emprisonnes son visage entre tes mains pour l’obliger à te regarder et à comprendre que tu étais sérieux. « Écoute. Je ne fais pas ça de gaieté de cœur, crois-moi. Mais il le faut. Si nous devons nous battre à nouveau, il est presque certain qu’il y aura du feu, et je refuse que cela t’handicape lors d’une bataille. Je refuse que ça t’handicape tout court, d’ailleurs. » Avec un peu de chance, la gravité dans tes yeux lui montrerait que tu ne plaisantais pas du tout. Tu n’aurais pas osé plaisanter. Tu lâches donc son visage sans la quitter des yeux. De plus, ce n’était pas tout. Tu ne l’avais pas juste entraînée là pour qu’elle devienne un peu plus sereine face à sa plus grande peur. Tu avais une annonce à lui faire, une annonce qui ne lui ferait pas vraiment plaisir, et tu ne savais pas du tout comment le lui annoncer.

« Il faut aussi que je te dise un truc… C’est à propos de, euh, Justin. Mais c’est toi qui choisi. Tu peux commencer par affronter ça, fais-tu en pointant l’armoire, ou ce que j’ai à te dire. Mais il va falloir que tu fasses quelque chose, parce que je ne te laisserai pas repartir tant que les deux ne seront pas faits. On a toute la nuit, ma chère, alors prend ton temps. »

Pour appuyer tes paroles, tu attrapes ta baguette et l’agite un peu. Le bruit d’un loquet qui se ferme résonne bruyamment dans la salle d’arithmancie. Vous voilà désormais seuls.

Sa phrase annonçait la couleur de ce qui l'attendait et, ce fut méfiante qu'Amelia l'observa tout en allant s'assoir non loin de lui. Son ton était loin de la rassurer et, déglutissant silencieusement, la jeune femme prit soin de respirer profondément. Ne pas se départir de sa bonne humeur et de son cynisme serait sa meilleure défense et même s'il souhaitait être sérieux, elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter la plus sérieuse des annonces qu'il lui ferait dans peu de temps. Peu importe ce qu'il avait à lui dire ou la raison pour laquelle il l'avait conviée, la sorcière était loin de s'imaginer ce qui l'attendait. S'il ne s'agissait que de l'épouvantard, cela irait parfaitement, il lui suffirait de se concentrer et de suivre les conseils avisés de son amis pour surmonter sa peur mais ... Quelque chose dans le regard de Nathaniel la faisait douter.

« Amelia, c’est pas drôle. »

Levant les mains en l'air comme le font les innocents accusés à tort d'avoir fait une bêtise, elle haussa les épaules et le laissa poursuivre. Bien plus fort qu'elle, son cynisme revint au galop. Approcher finalement de l'armoire commençait à lui faire perdre ses moyens et, mêlant ses doigts nerveusement entre eux, elle observa tout d'abord quelques symboles d'arithmancie avant de déporter ce dernier vers le sol de bois presque poussiéreux. Traçant de petits cercles sur ce même sol du bout de ses chaussures à talon allant avec son uniforme, essayer de se concentrer sur autre chose fut une tâche ardue et presque impossible à réaliser lorsqu'elle se retrouva nez-à-nez avec Nathaniel. L'élève de l'écurie Athéna venait de s'emparer à son tour d'une chaise pour l'amener en face de la sienne. Les yeux couleur caramel de la brunette suivirent le même chemin que son visage qui fut prisonnier de deux mains fraîches ne lui laissant pas d'autre choix que d'affronter la vérité en face. Troublée, elle consentit à l'écouter, immobile sur sa chaise.

« Écoute. Je ne fais pas ça de gaieté de cœur, crois-moi. Mais il le faut. Si nous devons nous battre à nouveau, il est presque certain qu’il y aura du feu, et je refuse que cela t’handicape lors d’une bataille. Je refuse que ça t’handicape tout court, d’ailleurs. » Ses objectifs étaient louables et elle appréciait cela à sa juste valeur. Fronçant les sourcils, elle sut finalement qu'il était sérieux lorsqu'il lui en avait parlé pour la première fois ... il comptait vraiment l'aider et lui faire outrepasser sa peur. Mais quelle forme allait prendre l'épouvantard ? S'agirait-il de simples flammes léchant le sol ou d'un cercle enflammé l'entourant ? Un long frisson parcourut sa colonne vertébrale alors qu'elle percevait la pointe de gravité dans les yeux de son ami le plus fidèle. « Alors ... pas de blagues ce soir ? » Elle qui comptait oublier cette journée interminable en passant du bon temps avec Nath' voyait ses espoirs s'envoler en fumée. Encore une fois il lui faudrait se concentrer et ne pas se laisser gagner par la peur. Doutant fortement d'être assez forte pour ça à l'instant même, elle évalua rapidement son état de fatigue et ne chercha plus longtemps d'excuses. « J'apprécie Nath', sache-le ... » Son ton était devenu à son tour monocorde. Sa gaieté s'était envolée comme désintégrée par le souffle puissant de la menace qui l'attendait et face à laquelle elle devrait faire face dans quelques instants.

Les mains de Nathaniel quittèrent finalement son visage, lui laissant tout le loisir de bouger à présent. Comme si elle s'était retenue de respirer pendant cet échange sérieux, ses poumons se décontractèrent et l'oxygène recommença à affluer pour finalement être expulsé. La pression de l'instant faisait se contracter ses membres et ce fut maladroite qu'elle se redressa et s'apprêta à sortir sa baguette mais, avant cela, con coéquipier semblait avoir quelque chose d'autre à lui dire. « Il faut aussi que je te dise un truc… C’est à propos de, euh, Justin. » Ses yeux s'arrondirent sous l'effet de la surprise et son cœur se mit à battre à tout rompre à l'évocation de ce nom. Si elle s'était attendue à ce qu'il lui parle de Justin, elle se serait certainement montrée un peu plus enthousiaste mais ... ce qu'il semblait vouloir lui dire à son sujet semblait délicat. Troublée, elle ne le lâcha pas du regard, pas tant qu'il n'eut pas fini de parler en tout cas. « Mais c’est toi qui choisi. Tu peux commencer par affronter ça, ou ce que j’ai à te dire. Mais il va falloir que tu fasses quelque chose, parce que je ne te laisserai pas repartir tant que les deux ne seront pas faits. On a toute la nuit, ma chère, alors prend ton temps. » Ne sachant que répondre, elle sonda le vide de son regard contrarié tandis qu'un millier d'informations, de souvenirs et d'inquiétudes imprégnaient ses pensées en véritables parasites.

C'était un véritable dilemme auquel elle faisait face et dans les deux cas, elle serait certainement encore plus troublée que maintenant. Si elle apprenait des choses que Justin lui cachait de nature plutôt désagréables à entendre et qu'elle faisait face à l'épouvantard, pourrait-elle se servir de sa rancoeur pour être plus efficace ? Elle en doutait fortement puisque tout ce qui aurait à trait à Justin ne serait plus de l'ordre du bon souvenir alors que si elle essayait de combattre sa peur sans cette information de haute importance, peut-être serait-elle plus efficace ... Cependant, elle n'arrêterait pas d'y penser. « C'est que ... je ne sais vraiment pas à quoi m'attendre concernant Justin mais dans tous les cas ... son regard croisa celui de Nathaniel pour tenter de sonder ses pensées, je suppose que cette nouvelle ne m'enchantera guère, je me trompe ? Surtout que tu connais mes sentiments à son égard et que je pense que tu sais très bien comment je vais réagir ... Selon toi et, en connaissance de cause, par quoi vaudrait-il mieux commencer ?» Se gardant bien de prendre la moindre décision, elle se douta qu'il ne choisirait pas à sa place et dut se faire violence pour effacer cette moue contrariée de son visage et dissiper cet air de confusion imprimé sur les rides d'expression du coin de ses lèvres. « Je sais Nath', c'est à moi de choisir donc ... commençons pas l'épouvantard. Je ne sais pas lequel des deux est le pire mais je pense que rien ne sera jamais aussi effrayant que le feu. Commençons pas le pire et ... finissons par le moins pire. » Une lueur nouvelle brilla dans ses yeux. Peu importait ce qu'elle affronterait au cours de cette soirée aussi longue soit-elle, elle le ferait et se relèverait comme elle l'avait toujours fait jusqu'à présent. Ce fut d'un ton déterminé et d'une nouvelle pression sur le manche de sa baguette qui se mit à cracher quelques étincelles qu'Amelia se positionna aux côtés de Nathaniel, face à l'armoire branlante. « Je suis prête »