« Je te parie que… »
« Non, Rosa… Joue pas à ça, tu vas encore perdre. »

Je jetai un regard dépité à mon frère jumeau. Oui, il était meilleur que moi pour tout ce qui touchait aux paris. Mais mince ! J’y croyais, cette fois. J’étais sûre et certaine que j’allais gagner. Pas comme la dernière fois, en somme… en gage, il m’avait fait lécher ses chaussures dès que je prononçais les mots « oui » ou « non ». Et autant dire qu’il s’était amusé comme un petit fou. Cela m’avait servi de leçon, d’un autre côté, car je n’avais plus parié avec lui. Du moins, jusqu’à aujourd’hui. En parlant de leçon… Il m’avait fallu des mois, après, pour me remettre à parler normalement avec des oui et des non. Au moins, pendant un temps, j’étais devenue très forte au jeu du « ni oui, ni non ». Mais là… Là, j’étais persuadée que j’allais avoir raison. Et puis c’étaient encore les vacances, mince ! Si on ne pouvait plus s’amuser en toute impunité… Après tout, les potes de Flo avaient du retard… Si ça continuait, la partie de volley, on allait la faire au clair de lune !

« Je te parie que tes potes vont nous planter… »

Et là… Là… Mon frère me regarda d’un air désolé. Quoi ? Qu’est-ce que j’avais dit, encore ?

« Nous ? On n’oserait pas, Rosa… T’es trop mignonne pour ça… »

Je piquai un fard et me retournais vers le meilleur ami de mon frère.

« Je… Euh… Rien… » répondis-je, penaude.

« Bon… On joue maintenant qu’on est au complet ? »

Sa réplique fut accueillie dans un éclat de rire généralisé et mon frère me glissa un : « Je t’avais bien dit de ne pas parier avec moi… » Je lui répondis d’un simple tirage de langue avant de rejoindre les garçons pour la partie, même si je n’en avais plus envie. D’un autre côté, il fallait bien que je leur montre que les filles aussi savaient jouer au volley… Toutefois, je savais qu’il fallait que je m’attende au pire avec eux. Je voyais bien les airs de conspirateurs qu’ils échangeaient avec mon frère qui avait, par ailleurs, toujours de très – trop – bonnes idées pour les gages. A la fin de la partie, je voulus m’esquiver.

« Hep, hep ! Minute papillon ! Pars pas si vite ! »

Je me retournai vers les garçons et m’attendis au pire. Mon frère me regardait d’un air un peu trop satisfait de lui-même. Ca va se payer, Flo… Je sais pas ce que tu as prévu, mais ça va se payer… Tu peux me croire… Et le couperet tomba.

« Les gars y sont allés de leurs propositions, mais c’est moi qui ai décidé, au final. Tu vois, ce mec, là bas ? »

Je me retournai pour voir, sous un arbre, l’un des plus beaux mecs de l’Académie. Mon frère pensait à quoi, au juste ?

« Tu vas aller le draguer. »
« Quoi ? »

Je me retournai vers lui. Non pas que je sois timide, bien au contraire, j’étais plutôt extravertie et il le savait – après tout, je faisais un peu partie de plusieurs clubs de l’école – mais ce type-là, il avait une copine, déjà… Et pas qu’un peu jalouse. Plutôt le genre « harpie » qui serait capable de m’écharper simplement pour avoir croisé son mec dans les couloirs de l’académie…

« Tu veux que sa copine me tue, ou quoi ? »
« Mais non, mais non… On s’occupera d’elle… »

Ouais… Bien sûr… Je te crois Benoist… Ils allaient surtout s’empresser de la faire rappliquer… Mais un défi est un défi. J’avais joué, j’avais perdu. Il fallait que je fasse mon gage. Sinon… Sinon, ce serait pire encore. Je n’avais aucun doute là-dessus. Bon… J’aurais pu tomber sur pire, d’ailleurs. Il fallait le reconnaître. Comme pour me rassurer, mon jumeau s’approcha de moi et me glissa à l’oreille :

« T’as failli passer la journée en lapine rose sexy… Ils étaient tous d’accord là-dessus »
« Quoi ? » m’étranglai-je avant de lui jeter un regard paniqué.

« Je sais… Pour ça que tu y échappes… »

Je déglutis péniblement. Ouais… J’avais réellement échappé au pire. Allez… Quand il faut, il faut… Après tout, je préférais encore une bataille de boue à un costume de lapin. Merci, frérot… Je pris une grande inspiration et pris la balle des mains d’un des copains de mon frère pour la lancer droit sur le type que je devais draguer. Enfin… Droit sur lui… Disons qu’elle tapa dans l’arbre juste au dessus de sa tête, le faisant sursauter et roula à ses pieds.

« Bien visé, Bertone… » lança un des gars.

Je lui tirai la langue et trottinai vers le gars.

« Désolée… Ils ont lancé un peu fort. »
« Hein-hein… »

Je ramassai la balle, me penchant en avant. Mon débardeur et mon short en jean blancs ne laissaient pas grand place à l’imagination, mais il n’avait d’yeux que pour son livre. Ca s’annonçait mal barré…

« Tu lis quoi ? »
« Orgueil et Préjugés. »

…

Ouais… D’accord… Je ne l’avais pas lu, celui-là. Et sa façon lapidaire de me répondre était, somme toute, pas aidante pour mon gage.

« Et ça parle de quoi ? »

Enfin, il leva la tête de son ouvrage et je croisai son regard gris. Ouah… Je comprenais mieux, soudain, la possessivité de sa petite amie…

« Lis, et tu le sauras… »
« Si tu me le prêtes, je veux bien… » répondis-je avec un sourire angélique.

J’avais le sourire facile et communicatif. Il ne put s’empêcher de sourire à son tour, sourire qui dessina une fossette sur sa joue. Ouah…

« Tiens… » dit-il en me tendant l’ouvrage.

Quand ma main toucha le livre, j’eus l’impression que mon bras était parcouru d’une petite décharge électrique. Ce n’était, bien sûr, qu’une idée que je me faisais. En tout cas, nous tenions toujours tous les deux le livre quand je proposai :

« Et sinon, ça te dirait de venir jouer au volley avec nous ? »

Il n’eut pas le temps de répondre, toutefois qu’une harpie arriva sur nous.

« Non mais… Non mais ! Lâche-le espèce de… »

Elle n’avait pas achevé son injure qu’elle était déjà sur moi. Je lâchai l’ouvrage qui s’écrasa au sol, puisque nous l’avions lâché tous les deux. Je me retrouvai, tout à coup, sur le dos, la fille à califourchon sur moi, prête à me rouer de coups. Jalouse… Oui, c’était le mot.

« C’est MON mec… Je t’interdis de l’approcher. De le regarder, même de loin. »

Et lui, dans tout ça ? N’avait-il pas son mot à dire ? Je tournai la tête vers lui et il m’adressa un regard désolé. Quant à elle, une gifle violente vint ramener mon visage dans l’autre sens.

« Je t’ai dit quoi, hein ? Je t’ai dit quoi ? »

Je levai les mains pour me protéger d’un autre coup, sans rien répondre. Qu’aurais-je pu dire pour ma défense, de toute façon ? Tout serait pire que ça. Oui, j’avais voulu draguer son copain. C’était vrai. Mais c’était parce que j’avais eu un gage. Sinon, la connaissant, je ne me serais jamais approchée de lui. Pourtant… Pourtant, là, de lui avoir parlé, j’avais envie de continuer. En tout bien tout honneur, bien sûr. Mais rien de ce que je pourrais dire n’arrangerait les choses, bien au contraire. Il finit par attraper sa copine par l’épaule pour l’écarter de moi et me permettre de me relever. J’avais raté mon gage, non ? En tout cas, mon frère allait m’entendre. C’était comme ça qu’il retenait la harpie ? Je commençais à m’éloigner, balle entre les mains quand j’entendis des pas derrière moi.

« Elle va se calmer… Tiens, pour le livre, ça tient toujours… »

J’esquissai un sourire avec un merci avant de porter la main à ma joue.

« Désolé pour ça. Elle est un peu possessive… »

Un peu ? Il était gentil.

« J’ai une partie à finir. »

Et je le plantai là, pour retourner à mon groupe de copains auxquels je lançai un regard noir. Je balançai la balle dans leurs pieds et quittai le terrain pour retourner dans ma chambre. On m’y reprendrait, à faire un pari…