Les cours sont terminés. Ta première semaine a bien été. Au charme de la première journée a succédé d'autres jours tout à fait parfaits. Même le fait d'être surveillée par ton propre brigadier, ce Llewellyn dont tu n'es déjà plus capable de voir les boucles, d'avoir un horaire fixe, d'être épiée, ne te dérange presque pas. Tu es ici et tu te sens déjà heureuse. Étrangement, tu es aussi sans Gaïa, cet après-midi, alors que tu patientes dans un des coins du parc du Clos au Lys. Juste à côté d'une roseraie encore en fleurs, dont le parfum puissant sans être lourd embaume toute la place. Sans Gaïa ? C'est rare et ça vaut la peine d'être noté.

C'est que tu as rendez-vous.
Avec un garçon.
Même si ce n'est pas vraiment ça.

Tes mains caressent doucement l'herbe où tu es assise, alors que ta réflexion sur la rencontre de cet après-midi revient à ton esprit, au fur et à mesure où l'heure H se rapproche. Tu sais bien que ce tutorat est une raison de ton admission à l'Université, que c'était conditionnel, mais tu angoisses tout de même. Angoisses de tant de choses et tu ne peux, pour te calmer, que respirer le parfum des roses. Tu ressembles à une des fleurs des jardins. Ta robe légère est ouverte en corolle autour de tes jambes allongées dans l'herbe, tes cheveux d'or brillent dans le soleil et sur ton visage habituellement si sévère s'épanouit une expression heureuse. La nature qui t'entoure t'apaise, te rassure, et c'est bien pour cela que tu as demandé à ce que le premier rendez-vous avec ton tuteur (même si ce mot est bien fort) soit à l'extérieur. Confinée dans une salle de classe, tu sais que tu aurais été désagréable. Encore plus. Fermée. Peu amène. Tu es ainsi, une fille de la nature. Et peut-être seras-tu plus avenante avec ce Matthew Bennington qui doit te servir de professeur jusqu'au mois de décembre.
Évidemment. Tu n'as pu garder ta pensée bien loin de cette fatalité. De cette mise à niveau nécessaire. De ce jeune homme que tu devras voir chaque semaine, plusieurs fois même, pour qu'il t'aide à progresser. Tu ne sais même pas s'il est payé pour ça. Sans doute, en fait – ce serait même logique. Payé pour enseigner à une fille de presque son âge... ridicule. Aussi ridicule que le brigadier qui te surveille au loin dans le parc.

Un soupir passe tes lèvres et tu te couches tout à fait dans l'herbe, désormais, les yeux fermés pour ne pas être éblouie par le soleil. Tu appréhendes. Tu connais Matthew de vue seulement, tu ne l'as pas vu depuis longtemps. Tu sauras sans doute le reconnaître. Il a été choisi car de 2e année dans ton programme, car Anglais aussi, car pas mauvais du tout dans ce qu'il fait. Tu espères que ça ira. Même si c'est un homme. Tu l'espères – et avec lui, tu feras des efforts. Parce que tu as besoin de cela.

Mais laisse donc cette première rencontre arriver, Daphné. Laisse-le se présenter, laisse-le mesurer la puissance de tes sorts, de ta baguette, mesurer l'étendue de tes lacunes. Tu verras ensuite.

Un pressentiment. Tu rouvres tes yeux, te relèves et te retournes pour voir un homme avancer vers toi. Tu penses que c'est lui. Tu le laisses s'approcher, jusqu'à ce que tu puisses distinguer ses traits. Tu te lèves de l'herbe lentement, les yeux déjà méfiants malgré toi. Déjà réticente, déjà sur tes gardes. Tu as beau penser n'importe quoi, ton naturel est difficile à chasser. « Matthew ? » Ta voix basse, curieuse dans cette question, sur la défensive. Déjà prête à t'enfuir. Le sent-il, comme tu es nerveuse ? Ton patronus est peut-être un geai bleu, Daphné, mais tu tiens bien plus du chat sauvage.

C'est bien lui. Ses traits ont changé depuis Poudlard, mais rien qui le métamorphose complètement et t'empêche de le connaître une fois est-il près de toi. Sa réponse joyeuse te réconforte – et tu es aussi réconfortée de voir qu'il ne semble pas te considérer comme une corvée, ou comme un problème. Un signe léger de la tête pour approuver ses parole – tu es bien Daphné, vous vous connaissez bien de Poudlard. De vue, à tout le moins. Tu ne connais pas réellement Matthew, tout comme l'inverse est vraie. Et tu espères que s'il se souvient de toi, de ce que tu étais jadis, qu'il oubliera rapidement. Tu esquisses rapidement un sourire, ne serait-ce que pour être polie, avant que celui-ci s'efface à la même vitesse de tes lèvres.
Il ne faut pas non plus qu'il croit que tu es si sympathique.
Le brun te rejoint au sol et tu jauges d'un œil rapide la distance entre vos deux corps. Prudente. Correcte. Sa question te surprend une seconde, tu sens un de tes sourcils pâles se hausser dans ton visage, mais tu comprends bien qu'il ne peut pas tout savoir. N'oublie pas que cette première rencontre est justement là pour qu'il connaisse la tâche à accomplir d'ici le mois de décembre.

Matthew arrivé, tu avais replié tes jambes sous toi – tu les allonges à nouveau sur le sol, tes yeux bleus fixant tes pieds nus. L'herbe. Les rosiers. Le ciel. Tout sauf le visage de Matthew. As-tu honte, Daphné ? Peut-être. Tu ne sais pas. Ce n'est pas ça. Tu n'aimes seulement pas te montrer faible et devoir demander de l'aide. Comme ce que tu fais maintenant, comme ce que tu es obligée de faire. « Mise à niveau du programme de septième année à Poudlard. Ou quelque chose qui y ressemble. »

Quelque chose. Tu mordilles tes lèvres, tu fixes l'herbe avec une obstination admirable. « J'ai passé mon BUSE, puis j'ai été transférée à Durmstrang. Et j'ai arrêté Durmstrang l'automne dernier. J'ai donc globalement le niveau d'une cinquième année à Poudlard, parce que je n'ai rien appris en Russie. » Rien. Tu es catégorique, ferme. Le niveau était trop facile pour toi – tu aurais pu réussir tous tes cours haut la main, avoir les meilleures notes, si tu n'avais pas choisi de ne pas écouter en classe et de snober tes professeurs et leur enseignement. La seule chose que tu aies apprise, c'est à lancer des Impardonnables.
Et ça, ce n'est même pas la Russie qui te l'a appris.
Tes mains se crispent à cette pensée fugace – la pensée des Impardonnables, de Krushnic, mais tu restes calme. Ton visage se tourne légèrement vers l'endroit dans le parc où tu sais que Llewellyn est posté, avant de revenir au Serpentard. Tes mains lissent ta robe, maintenant, jouent avec les ourlets qui découvrent tes cuisses, caressent l'herbe pensivement. Tu n'as pas évoqué la raison de ton abandon scolaire et tu juges cette information inutile. Ça ne le concerne pas. « Mon niveau pratique est suffisant en botanique et en soins aux créatures magiques, mais je manque de notions théoriques. Je dois améliorer mon niveau en sortilèges, en potions, réviser mes notions d'astronomie et la mythologie. Rien de dramatique, j'étais pas mauvaise en classe, mais ça fait longtemps que je ne suis pas allée à l'école. » C'est déjà beaucoup. Heureusement que bien des choses ont été mises de côté – comme la métamorphose, peu nécessaire dans ta branche. La tâche te semble quand même tellement grande pour si peu de temps, surtout que tu as tes cours, tes travaux, en plus de cela. Tes yeux clairs se relèvent – et regardent réellement le jeune homme, cette fois. Un regard perçant, mortellement sérieux, toujours. Ta voix est grave. « Crois-tu pouvoir m'aider ? »