« all this feels strange and untrue »

and I won't waste a minute without you

A ce stade là, j'essaie même plus de fermer les yeux, parce que je sais pertinemment ce qui m'attend à la minute où mes paupières seront closes. Le truc, avec les cauchemars, c'est qu'ils sont faux, pas vrai ? On se rassure en se disant qu'ils ne sont que des chimères qu'on a imaginées pour s'effrayer, et qu'ils finiront bien par s'en aller un jour. Mais ça, c'était pire qu'un simple cauchemar. C'était un souvenir. Toujours le même, trop intense, trop présent. Celui dont on n'arrive pas à se débarrasser. Plus je voulais l'oublier, plus il s'ancrait dans ma mémoire.  Plus je voulais l'oublier, moins la musique qui sortait de mon casque couvrait les cris. C'était comme si mon corps m'interdisait d'oublier. Comme si j'étais condamné à revivre la même scène jusqu'à la fin des temps, à porter le fardeau de toute une génération à moi tout seul. Allongé, sur mon lit, je fixe le plafond. J'attends que les secondes fassent des minutes et que les minutes fassent des heures. Je pense à elle, mais je chasse son visage dès qu'il apparaît. Quelque part, je me dis que j'ai pas le droit de lui faire ça. J'ai pas le droit de l'entraîner là-dedans. J'ai pas le droit de la mêler à tout ce que je ne peux pas contrôler. J'ai peur de mes réactions, parfois. J'ai peur de la peur. J'ai peur de la frayeur qui m'habite, j'ai peur des abysses qui  prennent un peu plus de terrain chaque jour. J'ai peur de tout ce qui disparaît, de tout ce qui reste là, ancré à mes rêves. Quand j'y pense, j'attends toujours qu'on invente les souvenirs du futur. Qu'on puisse se voir, dans un an, dans dix ans, et qu'on puisse se dire que tout va bien. Qu'on n'a rien à craindre. Que la guerre est passée, et qu'on a survécu. Mais on survit jamais vraiment. La guerre, elle reste, elle s'accroche. Elle prend tout ce qui nous reste.

A ce stade là, j'essaie même plus de fermer les yeux, parce que j'en ai plus envie. Ce soir, comme tous les soirs depuis quelques temps, j'avais mieux à faire qu'essayer. Je me fichais bien de ne plus dormir. Je me fichais bien de l'élite et de toutes leurs règles à la con. J'avais juste envie de la voir, et ça devenait plus fort que tout le reste. C'est effrayant, de voir que tout peut changer si facilement qu'on se demande comment on a fait pour vivre jusqu'ici. Elle était ce qui me permettait d'échapper à tout ce qui me détruisait. Elle était celle qui rendait la nuit moins terrifiante. Elle était celle qui me faisait oublier. Je me suis levé, machinalement. Je me suis mis à marcher, dans les couloirs. J'errais pas, parce que je savais exactement où je devais aller. J'ai soulevé la tapisserie et je me suis retrouvé dans le passage secret. Elle était là, assise sur son banc. Ses cheveux tombaient en cascade dans son dos avec la même grâce que d'habitude. J'ai toujours trouvé ça beau, une femme, de dos. Le chemin de sa nuque, la façon dont ses cheveux tombent en boucles lâches. La façon dont elle se retourne, aussi, dont on aperçoit son cou.   «Comment choisir le bon chemin? Comment savoir si notre choix est le bon? Quel choix ferait la différence? Je n’arrive pas à choisir. » J'ai froncé les sourcils sans réellement savoir de quoi elle parlait. Je savais que l'Elite la dépassait totalement. Qu'elle occupait un poste dont elle n'avait jamais voulu.  Je savais que personne n'avait rien choisi. Le destin nous avait imposé sa musique, et il fallait qu'on danse sans savoir ce qui nous attendait. Parfois, on avait juste l'impression de respirer dans le vide.  Elle a croisé mon regard.  «Les licornes t’ont encore réveillé? » J'ai souri. Je me suis assis à côté d'elle. Je la regarde, quelques instants. Elle n'est pas comme toutes les autres filles. Il y a quelque chose, à son propos, qui m'intrigue. Elle jure avec la guerre. Elle ne s'allie pas avec le sang qui coule et les cris qui se perdent. Elle jure avec la guerre, comme si elle ne l'avait pas laissée lui prendre quoi que ce soit. Comme si elle avait survécu. Je baisse les yeux.  « On peut dire ça comme ça. »  je regarde en face de moi, à présent. Les différents tunnels qui s'ouvrent devant nous. Je me dis que c'est une belle métaphore de la vie. Que tout dépend du moindre choix. Je contemple l'impact de l'infime en me disant qu'on n'est qu'un amas de décisions, une nébuleuse de liberté. « On sait jamais quel choix est le bon avant de le faire. C'est ça le truc avec la vie, parfois, Aurore, 'faut juste se lancer.  » Plus facile à dire qu'à faire, j'en conviens. Tout est une question de courage et de peur. Qu'est-ce qu'on est prêt à affronter, qu'est-ce qu'on est prêt à subir. Comment est-ce qu'on choisi de survivre.  Est-ce qu'on essaie de voler même si ça veut dire qu'on peut tomber. C'est le genre de question qu'on cherche à oublier. C'est humain, au fond, de fuir tout ce qui peut nous mettre en danger.  « De quel choix est-ce que tu parles, exactement ?  »