Certaines personnes cherchent à être sur la liste noire du karma, parfois sans s’en rendre compte. Justin était de ces gens-là. Il ne réfléchissait pas, il suivait ses instincts, il agissait de façon impulsive. Aucunement dans le but de blesser, juste parce qu’il a une conscience détraquée. Pour vous donner un exemple, comparons l’ange et le diable qui lui dictent ses actes perchés sur ses épaules. D’un côté nous avons un ratata niveau 3 et de l’autre un Dracofeu niveau 87. Ou pour nos amis sorciers c’est comme devoir assister à un combat entre un gnome et un dragon. Not fair. Le match est perdu d’avance et par la suite il faut faire face aux conséquences. Pourquoi je vous raconte tout ça ? Tout simplement parce que ce qui va suivre est un exemple parfait de ce que j’illustrais au dessus.

Nous avons un Justin Lesieur, tranquillement adossé contre un mur, à l’abri des regards, fumant une cigarette. Il sait pertinemment qu’il va être en retard à son rendez-vous avec Nathaniel qui l’attend pour lui faire bosser ses cours mais il ne se presse pas. Voyez-vous, le jeune homme a croisé un ami à lui, que nous n’allons pas nommer vu le rôle qu’il va jouer sans le savoir par la suite, qui lui gracieusement glissé une potion dans la main. Il regarde donc la petite fiole incolore en se demandant dans quel cadre il va bien pouvoir l’essayer. Son ami, toujours illustre inconnu à vos yeux, lui avait garantit qu’avec une petite gorgée tous ses tracas s’envoleraient. Avec cette potion, il profiterait pleinement d’une soirée sans se faire embêter par la dure réalité qui précédait et succéderait. Mais voilà, le Nîmois ne se voyait pas en faire usage. Il s’imaginait la glisser l’air de rien à Nathaniel pour le décoincer un peu et c’est dans cette optique qu’il rangea la fiole dans son sac avant de prendre le chemin de la bibliothèque.

C’est en élève studieux qu’il prit place à côté de Lestrade après s’être excusé de son retard en glissant une chocogrenouille sur le bureau, s’imaginant que cela règlerait ce petit incident. Et c’est toujours en élève studieux qu’il écouta ce dernier le moraliser en une phrase alors qu’il sortait ses affaires en lui accordant son attention comme s’il lui avait parlé de la dernière pluie. Je vous épargne le reste car il nous faut désormais passer à l’essentiel c’est à dire l’arrivée d’Aurélia. Pour faire simple, c’est une amie d’Amélia et elle ne peut pas le supporter. Aller savoir pourquoi, c’est pourtant un garçon des plus agréables, mais passons. Vous vous doutez qu’il y’a anguille sous roche en voyant le sourire qu’il lui lance alors qu’elle passe près de lui. J’aimerais rectifier la métaphore : c’est une baleine sous caillou à ce stade là.

Nat’, mec, je reviens dans deux minutes. J’ai une amie des plus précieuses, ô une de celles qui illumine ma vie, à aller saluer. Il se lève mais devant le regard interrogateur de Lestrade il se sent obligé d’ajouter : Non, en fait je la supporte pas et comme le destin m’a fait parvenir un petit quelque chose, je vais lui rendre la monnaie de son gallion.

Et là, je ne vais rien vous apprendre car vous voyez le truc arriver gros comme le château de Poudlard. Vous vous souvenez de la potion ? Vous voyez le verre d’eau en face d’Aurélia ? Bien, alors vous ne serez pas étonnés de le voir trébucher pour attirer son attention alors que le contenu de la fiole se déverse dans le verre derrière son dos.

Je suis vraiment maladroit, te voir me met dans tous mes états ! C’est comme une crise d’urticaire psychologique donc j’ai des spasmes. Bref, je voulais juste te confirmer à quel point c’est toujours un plaisir de te recroiser. Si jamais t’as besoin de quelqu’un pour t’aider à extraire le balai que t’as dans les fesses, je suis là bas. Bonne soirée !

Un baiser imaginaire envoyé dans les airs et le voilà qui retrouve son professeur particulier pour une séance de rattrapage des cours qu’il n’a pas suivit correctement vu le pétard envoyé avant la sonnerie. Fier de son coup, Lesieur ne parvenait pas à détacher ses yeux d’Aurélia et ce ne fut qu’après qu’elle eut enfin bu le contenu de son verre qu’il explosa d’un rire fourbe pour finir par se concentrer. Il ne lui reste plus qu’à attendre, désormais, que la potion agisse et les minutes seraient longues… oh beaucoup trop longues…

Une journée normale, en apparence. Qui ne promettait rien de plus que la routine. Le quotidien d'Aurélia était devenu morne depuis le début de l'année, et le départ de Jezabel. Jezabel, celle qui l'avait entraînée dans maintes histoires à dormir debout, grâce à laquelle elle s'était mis à dos maintes personnes. Maintenant que la métamorphomage était à des milliers de kilomètres, sur les hostiles terres russes, Aurélia n'avait plus envie de trouver une quelconque occupation. Un quelconque ragot à colporter. Elle s'ennuyait, son ennui quotidien coupé par des accès d'angoisse à la réception des lettres de Jaroslav, et de stress quand il s'agissait d'y répondre. Elle avait besoin de se distraire, de s'extirper de cette solitude dans laquelle son désœuvrement l'emmurait. Avec Jeanne ou avec Amélia, les choses étaient différentes. Aurélia en arrivait à fuir la compagnie pour s'enfermer dans des pensées qu'elle ressassait nuit et jour. Bref, pas la joie.
Pour se changer un peu les idées, la blonde avait décidé de de rendre à la bibliothèque et de se plonger dans un bon livre d'histoire de la magie. Oui, un énorme bouquin poussiéreux qui sent le moisi, ça n'a, en apparence, rien d'attirant. Mais Aurélia ne pouvait pas se passer de lectures sur sa matière favorite, sur sa passion. Elle arriva à la bibliothèque en fin d'après-midi. L'endroit était presque désert, exception faite de quelques élèves qui s'avançaient dans leurs devoirs ou qui profitaient de la protection des étagères pour discuter en toute tranquillité.
Slalomant entre les rangées de livres jusqu'à sa section de prédilection, l'Hestia se baissa pour saisir un livre à la couverture rouge qui lui faisait de l'oeil. Elle lut le titre : Sorcellerie médiévale et répression en France. Parfait. Aurélia mit l'ouvrage sous son bras et n'eut aucun mal à trouver une table libre et s'y installa, posant son sac à ses pieds. Elle sortit sa baguette et d'un mouvement, elle fit apparaître un verre qu'elle posa devant elle et remplit d'un machinal « Aguamenti ». Tout était prêt. Aurélia se plongea dans sa lecture.
Des heures passèrent, des jours peut-être, ou seulement des minutes. La blonde avait perdu toute notion du temps alors qu'elle parcourait les aventures des illustres sorciers du Moyen-Âge, leur jugement, leur exécution. Mais sa lecture fut interrompue par deux jeunes hommes qu'elle connaissait très bien, qui s'installèrent non loin d'elle. Nathaniel et Justin. Comment deux personnes pour lesquelles elle éprouvait des sentiments si différents pouvaient-elles se retrouver ensemble ? Alors qu'elle appréciait Nathaniel et leurs passionnantes conversations sur divers sujets scolaires, Justin l'insupportait et elle se serait bien passée de la présence de ce sale gosse dans la même pièce qu'elle.
Au grand dam de l'Hestia qui n'avait aucun besoin qu'on la dérange dans sa lecture, Justin se leva pour s'approcher de sa table. Aurélia l'observait du coin de l'oeil, alors qu'il faisait son chemin vers elle. Au lieu de relever la tête pour accueillir Justin dignement ou au contraire le saluer d'une douche glacée, Aurélia resta tête baissée, concentré sur son livre. Elle espérait que le Dionysos, s'apercevant qu'elle n'avait manifestement aucune envie de lui parler, changerait d'avis et aurait la délicatesse de rebrousser chemin. Mais la jeune femme se vit obligée de relever la tête quand Justin s'affaissa lamentablement sur sa table, renversant presque son verre d'eau, après avoir trébucher. Une petite voix perfide dans la tête d'Aurélia lui susurra « Il y a une justice en ce monde... », et un léger sourire involontaire apparut sur ses lèvres alors que Justin lui déballait les salades habituelles incohérentes qui caractérisaient son discours. Elle n'écouta pas et ne saisit que l'expression « balai que t’as dans les fesses ». Mais que lui importait, elle avait su se forger une carapace hermétique à ce genre d'humour lourd qu'elle entendait quotidiennement. Elle répondit mollement :
« C'est ça... C'est ça... Merci pour ton intervention Justin, coucouche-panier. », réplique assortie d'un vague mouvement de main. Et gentil Justin fit coucouche-panier.
Cet... incident avait agacé Aurélia qui, avant de se replonger dans sa lecture, but deux gorgées d'eau pour apaiser sa gorge qui brûlait de réparties cinglantes. L'eau avait un arrière-goût étrangement amer, mais la blonde ne s'en formalisa pas et se remit à lire.
Plus le temps passait, plus les minutes s'égrenaient, et plus la température de la salle montait. Aurélia commençait à trouver la chaleur inconfortable. Chaleur humaine sûrement, celle qu'on obtient en enfermant un nombre conséquent de personnes en train de travailler dans une même salle. L'Hestia retira le gilet qui couvrait ses épaules pour être plus à son aise. Mais quelques minutes plus tard, la température était montée à un degré tel que même son fin tee-shirt lui paraissait aussi lourd que trois pulls empilés. S'essuyant d'une main fébrile son front où perlaient quelques gouttes de sueur, elle se saisit d'un élastique pour attacher ses cheveux en une queue-de-cheval, libérant ses épaules de la couverture que formait sa chevelure blonde. Mais la température refusait obstinément de diminuer, et la chaleur commençait à devenir franchement désagréable.
Elle jeta un regard alentour, observant les parages. Personne ne semblait subir comme elle les effets de la chaleur. Pour la plupart affublés de pulls ou de gilets, les élèves conversaient et travaillaient en toute tranquillité, sans sembler se rendre compte de l'atmosphère étouffante de la pièce. Elle osa couler un regard vers Justin et Nathaniel qui travaillaient ensemble, mais alors que le second était concentré sur son livre, le premier l'observait d'un air relativement inquisiteur et malsain. Justin avait sûrement remarqué son petit manège et était capable de prendre n'importe quel prétexte pour répandre elle ne savait quelle rumeur à propos de prétendues bouffées de chaleur et autres inepties. Quand leurs regards se croisèrent, Aurélia tourna la tête vivement et fit mine de l'intéresser à son livre. Pour calmer un peu la fièvre qui s'emparait d'elle, la blonde prit son verre en main et le termina d'une seule traite, espérant atténuer ainsi cette impression d'étouffement qui la saisissait à la gorge, et essaya de poursuivre sa lecture malgré la chaleur.

On avait déjà vu plus infernal dans l’histoire des plans géniaux qui s’étaient formés dans des esprit purement diaboliques, je vous l’accorde. Mais il fallait bien commencer quelque part et malheureusement pour vous, Justin était tout sauf un génie du mal. C’était juste un mec un peu à côté de ses pompes qui aimait faire des farces totalement stupides à qui le cherchait. Aujourd’hui ses noirs desseins avaient choisi Aurélia comme victime et c’était avec une lueur perverse dans le regard qu’il l’avait observée durant ses révisions avec Nathaniel. Tout s’était déroulé comme prévu mais le jeune homme devait prendre son mal en patience. Qualité qu’il ne comptait pas parmi sa panoplie d’homme parfait et oui c’était purement ironique, naturellement.
Mâchouillant sa plume usagée, Lesieur avait regardé la belle se dévêtir, en proie à des bouffées de chaleur. Ce n’était pas la ménopause précoce qui la torturait ainsi mais bel et bien les effets de la potion qui commençait à se faire sentir. Et Justin s’en délectait. Il l’avait regardé ôter son gilet alors que d’autres regrettaient de ne pas avoir des couches supplémentaires à revêtir. Sans se soucier du regard inquisiteur de son ami, il s’était alors mis à chantonner tout sourire une chanson qui lui paraissait tout appropriée à la situation.

It’s gettin’ hot in here… so take off all your clothes…

Malheureusement, une telle attitude de la part d’Aurélia aurait soulevé bon nombre de questions, il en était conscient. C’est pourquoi il ne s’étonna pas de la voir éponger son front avant de s’emparer d’un élastique pour nouer sa chevelure blonde, qu’elle avait très jolie au passage. Ce n’est qu’après quelques minutes seulement que leurs regards finirent par se croiser alors qu’elle glissait vers lui une œillade. Détournant immédiatement la tête à son tour, il dû réprimer une folle envie de rire devant cette scène qui resterait à jamais gravée dans son esprit. Surtout qu’elle venait de finir son verre, laissant ainsi présager de nouveaux effets plus intéressant que ceux qui se manifestaient actuellement.
La tête ailleurs, le jeune Lesieur ne pouvait empêcher son esprit d’imaginer les situations les plus loufoques. Assailli par des visions d’Aurélia dans des postures improbables, il ne parvenait pas à trouver un quelconque intérêt au livre qu’il tenait entre ses doigts. Il n’avait qu’une envie, se libérer de Nathaniel pour mieux se concentrer sur la Coutellier. Mais ce dernier n’en démordait pas. Il avait un programme bien réfléchi pour sauver le cas perdu qu’était le Nîmois. Alors il se plia à sa volonté et lui accorda l’heure suivante du mieux qu’il pût, non sans observer l’Hestia de temps à autres.
Et décidant que cela était suffisant pour le moment, Lestrade lui concéda une pause durant laquelle il profita pour se lever et rejoindre Aurélia. Sachant pertinemment qu’il lui taperait sur le système à nouveau, Justin ne se laissa pas abattre et prit place sur la chaise qui faisait face à la blonde. Appuyant ses coudes sur la table, il posa son visage sur ses mains tout en observant la jeune femme d’un air inquiet totalement feint.

Ca va ? T’as l’air un peu fiévreuse, ma pauvre.

Il posa une main sur son épaule, prêt à courir le risque de se faire envoyer balader. Et l’espace de quelques secondes, une pensée lui traversa l’esprit. Etait-il allé trop loin ? Mais il la chassa immédiatement comme s’il avait eu à faire avec une mouche. Il n’avait pas le temps de céder au regret alors qu’il ne savait même pas de quoi il retournait. Lesieur jugea alors utile de remplir le verre de la belle d’un coup de baguette, arborant au passage son air le plus condescendant. On aurait pu le croire plein de bonnes intentions aux premiers abords mais c’était un moyen savamment calculé de gagner un semblant de confiance.

Tu veux que je t’amène à l’infirmerie ? Lâcha-t-il l’air de rien avant de reprendre sa contemplation. Amélia m’en voudrait de t’avoir laissée dans cet état sans essayer de t’aider. Ajouta-t-il pour donner un peu plus de crédibilité à son attitude. Et on sait tous les deux que j’essaie toujours d’éviter ce genre de situations… La narratrice que je suis s’étouffe dans son coin. Si cela avait été vrai, on sait tous pertinemment qu’il n’aurait pas versé cette potion dans le verre d’Aurélia dans un premier temps. Mais ici n’est pas la question.

Alors il se leva et lui tendit la main non sans un sourire. Aller, viens. Je sais que t’aurais fait la même chose pour moi si les rôles avaient été inversés. Mais quel mauvais menteur il faisait ! C’en était consternant. Fais au moins un tour si tu veux vraiment pas y aller, ça te fera du bien ! Ca, par contre, ce n’était pas faux. En voyant sa tête, n’importe qui aurait pu lui donner ce conseil. Un peu d’air frai lui ferrait le plus grand bien, aucun doute là-dessus. Et si jamais elle venait à se sentir mal, Justin pourrait toujours lui offrir son bras comme appui. Quel gentleman ! Nathaniel serait fier de lui…